-
Tout le monde le sait mais tout le monde se tait ...
Sincèrement, lorsque Jean-Michel Blanquer est parti, j’ai pensé que malgré ces 5 dernières années horribles au sein de l’Éducation nationale, on allait peut-être découvrir l’école d’après, un peu comme la promesse illusoire de 2020.
Je me suis accroché non à de l’espoir, mais plutôt à une vision positive qui m’anime en tant qu’enseignant. Celle-ci permet à tout personnel de l’EN de ne pas que voir que le problème, le malheur, mais essayer d’imaginer la réparation, une solution, la reconstruction et l’évolution de chaque situation vécue dans sa classe, son école ou son établissement.
Et puis le temps est passé et la machine a très vite repris son allure, sa direction sans se soucier de qui ou quoi que ce soit ! Je me suis mis aussi naturellement dans une position d’inconfort et de mal être face à cela, mais les quelques derniers jours de virages comme sur une route de montagne m’ont donné tellement la nausée qu’il faut que j’ouvre la fenêtre, que je prenne un peu l’air, mais le malaise étant bien là, il faudra aussi que j’évacue toute cette bile.
En quelques semaines , mais cela fonctionne comme ça depuis des années, on fait face à des annonces de choses existantes, des débats sur de faux sujets éducatifs, des ressources sur tel sujet qui devient une nouvelle priorité (sachant qu’on en est à 15 priorités au minimum dans l’EN)
Nombre de ces annonces sont pourtant contrecarrées par des études ou observations d’autres systèmes.
Ainsi, alors que les priorités réelles sont la formation , les moyens (salaires, AESH, …), la réduction des inégalités qui sont des leviers pour faire monter le niveau, on nous rabâche tous les ans les marronniers qui sont :
- le port de l’uniforme qui statuerait sur une égalité de façade, mais aussi cette année qui règlerait les atteintes à la laïcité
- le retour aux fondamentaux en primaire avec une primarisation de la maternelle, toujours plus de français et de maths
- de la dictée et du calcul mental qui ont un traitement à part, car on annonce leur retour alors même qu’ils n’ont jamais disparu.
- les méthodes de lecture
- des trucs sur le harcèlement, la laïcité … le tout souvent suite à des actes qui ont choqué l’opinion, à juste titre.
Et tout ça arrange bien pas mal de monde, car cela fait causer sur l’éducation et donne une fausse impression de s’y intéresser. Suivant l’actualité de ce sujet depuis 20 ans , je ne crois pas qu’il y ait eu autre chose que cela de réellement discué , débattu ou vraiment envisagé. En outre, la plupart des réformes mises en place ont toujours eu pour effet l’inverse de ce qui était annoncé (formation initiale, programmes, emploi du temps...)
En quelques années, cela s’est accentué avec une déconnexion complète de la personne qui est le supérieur de tous les personnels EN et sa propension à systématiquement s’adresser à l’opinion, à ne pas réellement défendre ses personnels et à jouer au mieux la division entre corps (1er Vs 2nd dgré, enseignant VS non-enseignant, base VS cadres). Alors oui, on reçoit vidéo ou textes en tant que personnels, mais juste pour nous annoncer ce qui a paru quelques jours avant dans les journaux et souvent qui impacte dès le jour même tout un pan de la stabilité de l’EN (Covid, mais aussi changement des programmes pour bac et annonce au dernier moment de la réintroduction de maths /suppression de la techno en 6e).
Et la machine médiaticopolitique se met systématiquement en route sans vrais approfondissement ou réflexion (écartant de fait les experts ):
- mise en avant de sujets marronniers avec des buzz, des émissions sur un truc inutile, des sondages à côté de la plaque , de fausses vraies enquêtes, mais rien sur le reste. Enfin si, des journalistes spécialisés ou des politiques au courant peuvent relayer d’autres sujets , éclairer sur des points , mettre en avant une situation qui pose réellement problème sauf qu’on ne les voit que très peu.
Cette semaine encore, un homme attaque au couteau des gens dans une gare et on a des spécialistes et journalistes informés qui donnent à comprendre les éléments sur cette violence alors que concernant la dictée on vous sort juste en un PowerPoint les comparaisons 1987 , 2017 avec un exemple et quelques coups droits bien placés des journalistes vedettes pour le monde enseignant qui vont de raccourcis en imprécisions et mêmes mensonges (sans le savoir).
- vision de la société complètement fausse de l’école qui était déjà en partie là mais qui est maintenant unanimement partagée, qu’on soit jeune ou vieux , de droite ou gauche, pauvre ou riche : « Le niveau baisse, c’était mieux avant et les profs sont nuls, c’est de leur faute au passage ».
Alors, oui, je sais que toute la société étant passé à l’école elle est en mesure d’expliquer ce qui est bien , marche et ce qui devrait être fait sauf que cela n’est pas aussi simple et que je ne détaillerai pas, car les analogies avec les médecins garagistes et plombiers ont déjà pas mal été faites.
Ainsi, on assiste avec l’appui des médias, du ministère, des éditorialistes et des pseudoconnaissaurs à un quadruple renversement des rôles qui fait que :
- eux sont les savants et nous les sachants or tout personnel de l’EN a fait des études assez poussées dans un ou plusieurs domaines et a des connaissances en pédagogie qui en font savant à la foi du fond des connaissances à transmettre, mais aussi des formes pour que les élèves les comprennent et se les approprient.
- eux ont le bon sens et nous sommes en proie à l’idéologie alors que ces personnes assènent des maximes sur le niveau, les compétences, la manière d'enseigner ou de gérer tel problème sans rien n’y connaitre et sans chercher à comprendre. L’idéologie est là et le pire est quand on accuse la pédagogie. Qui prend en compte les points de vue, ne cherche pas à simplifier àoutrane un exemple pour le généraliser, c’est bien le travail que les enseignants font chaque jour avec leus et il est impensable qu’ils puissent en être autrement dans leur argumentation. Et quand on commence à creuser un peu, l’argument d’être un pédagogiste est repris sans rien ne savoir de ce que c'est pour éviter toute opposition , pas de côté ou recherche de mieux comprendre.
- eux sont dans la réflexion et les personnels de l’EN dans le jugement des personnes ou de valeur alors que qui annonce parle de méritocratie. Là aussi c'est l’inverse sachant qu’une grande partie de la société est maintenant convaincue que les problèmes, ce sont les personnels qui ne font qu’appliquer ce qui est décidé par les gouvernements. Quand on souhaite soumettre une critique basée sur le terrain c'est qu’on juge la personne alors qu’on passe notre temps au quotidien à faire le contraire pour réellement essayer d’inclure l’ensemble des élèves et pas juste faire de l’affichage dessus ! Et même, on fait au contraire plus que bien ce travail sur la liberté de penser quand la société vante et met en place le prêt à consommer , le prêt à réfléchir avec certains médias et réseaux qui surfent sur des audiences uniquement à coup de marronniers ,des débats sans maitrise, l’annonce du bon sens oublié et l’absence d’empathie.
Et là, on nous ressort, « ce qui est simple s’énonce clairement… sauf qu’ enseigner et faire que les élèves apprennent c’est tout sauf simple …
- Enfin, l’argument toujours repris et le fait que l’EN est corporatiste et auto centrée, mais les grèves sont faites pour qui généralement ? Les élèves et la situation de l’école, pas celle individuelle de chaque enseignant ou membre de l’EN qui ce n’est plus à prouver est indigne de la France
Au final, tout cela permet d’éviter de réfléchir à mieux ou autrement et renforce la méfiance envers l’école et ceux qui la font alors que c’est envers ceux qui décident que cela devrait se tourner. Comment alors s’étonner de l’ opposition la contestation,l’ absence d’empathie ou la volonté de main mise sur l’école d’une partie de la société face à cet universalisme qu’elle a à proposer et partager. L’école est à rebours de la société, mais comme on évitera de réfléchir à celle-ci on sacralise l’école qui devient la solution à tout ..
Les problèmes actuels sont là depuis un moment : l’EN est malade
- des changements … mais rien ne change réellement
Les changements incessants font qu’on n’applique rien et que tout est à chaque fois effacé sans analyse pour faire du nouveau (souvent une reprise d’un autre truc dit auparavant et annoncé comme la solution), qu’on fatigue, qu’on abandonne, qu’on n’a plus envie.
Comment changer quand tout ce qui est annoncé comme réforme se fait contre l’EN sans tenir compte des personnels Au final c’est juste perçu comme contrainte pas autre chose !
- des programmes. À chaque annonce, un ajout au programme et de nouvelles ressources qui font qu’on ne peut rien mettre en place, car plus aucun moyen pour former, mais aussi réellement appliquer ces décisions , adaptations nécessaire à l’inclusion de tous. Le temps a été supprimé et on va juste externaliser l’aide pour certains !
- des formations absentes. On est dans l’ information tout au plus. On ne fait que sur ce qui est prioritaire sur l’instant (et surtout sur ces fondamentaux qui ne veulent rien dire). On oublie des pans entiers de la formation. En plus du disciplinaire, il y a le travail d’équipe, l’évaluation, la gestion réelle des besoins des élèves, l’organisation des apprentissages.
- de l’argent. On sort tous les jours les inégalités financières entre degrés, entre régions, entre public et privé, mais tout ce qui est annoncé n’affecte rien … et puis les salaires, tout le monde le sait mais tout le monde se tait !
L’ objectif final ! Il n’y a pas de miracle ou de personne qui va tout résoudre, mais juste une culture qui est à revoir sur l’école :
- qui est prêt à laisser du temps ?
- qui est prêt pour être à l’écoute de tous ?
- qui est prêt à avancer sur un budget net et pas mensonger ?
-qui est prêt à entendre tout, à accepter plus d’horizontalité ?
Mais ça pour l’entendre , il faut juste qu’une oreille soit tendue, car tout le monde le dit à tous les niveaux ! Cette oreille, qui est là pour la tendre et lancer non une nouvelle concertation à la noix où comme pour tout objet politique tout est joué d’avance,
mais pour faire un état des lieux de la réalité, des problèmes ,de solutions trouvées, du partage , de l’aide et entraide comme moyen d’avancer, du faire pas juste du dire, du comprendre ainsi, car entendre ne suffira pas, il faut la vivre cette école ! Nos classes sont ouvertes et banissons le sacré : autant le hussard que le parent d’aujourd’hui, ce qu’il faut c’est de l’espace, du temps, pour se voir, s’entendre pour penser l’école autant que la panser, , s’écouter, se comprendre, mais cela ne rentre pas dans ce qu’on a déjà .
Beaucoup des gens de l’ENveulent ça, mais comme l’école n’est plus rien pour la France, qu’elle ne nous paie pas , pourquoi encore faire ?
Vous avez la chance, car vous avez tant de gens qui sont si riches devant vous que vous ne les voyez plus la vigueur et l’énergie sont tellement ahurissant dans l'EN que personne n’y est préparé !
Pagnol a dit : « Quand je voyais mon père dépenser tant d’intelligence, tant de tact pour apprendre à lire à des enfants ..., je me disais que si mon père avait appliqué ce talent, cette intelligence et ce dévouement à la bourse, il serait milliardaire ! «
-
Commentaires